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== Préparatifs d’une mise à mort ==
== Préparatifs d’une mise à mort ==
Ce poème ne fut écrit que devant le juge d’instruction de la [[Loubianka (immeuble)|Loubianka]] où « le poète coucha ces seize lignes sur une feuille à carreaux arrachée d’un cahier d’écolier<ref group="A" name="p.263">p. 263</ref>. » À la question de la femme de [[Victor Chklovski]], Vassilissa : « Que faites-vous ? Pourquoi ? Vous serrez vous-même la corde autour de votre cou. » il répond qu'il ne peut pas faire autrement. Un jour, il croise [[Boris Pasternak]] et lui récite son poème. Effrayé, Pasternak répond : « Je n’ai rien entendu et vous n’avez rien récité. Vous savez, il se passe en ce moment des choses étranges, terribles, les gens disparaissent ; je crains que les murs aient des oreilles, il se pourrait que les pavés aussi puissent entendre et parler. Restons-en là : je n’ai rien entendu<ref group="B" name="p.407">p. 407</ref>. » Quand Pasternak l’interrogea sur ce qui l’avait poussé à écrire ce poème, Mandelstam répondit qu’il ne détestait rien autant que le fascisme, sous toutes ses formes<ref>Selon les souvenirs d’[[Olga Ivinskaïa]], dernière compagne de Pasternak.</ref>. C’est à la même époque qu’il gifle l’écrivain soviétique officiel [[Alexis Nikolaïevitch Tolstoï]], en raison d’un différend, dans les locaux de la Maison d’édition des écrivains : « J’ai puni l’homme qui avait donné l’ordre de battre ma femme<ref group="C" name="p.273">Chronologie, p. 273</ref>. »
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== Perquisition et arrestation ==
== Perquisition et arrestation ==

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Modèle:Unicode cyrillique

L’épigramme contre Staline est une épigramme politique de seize vers, écrit en 1933 par Ossip Mandelstam, un poète d'origine juive. Le texte accuse Joseph Staline et la Tchéka à travers une désobéissance civile.

Ossip Mandelstam en 1934, après sa première arrestation. Fichier du NKVD.

Situation

En novembre 1933, Ossip Mandelstam commence à écrire l’épigramme qu’il va payer de sa vie. Il s’agit de l’un des poèmes politiques les plus mordants et acerbes du XXe siècle[réf. nécessaire]. Il est écrit contre « le montagnard du Kremlin ». Pour l'écrire, il le compose d'abord à la voix, de tête, puis il livre cette épigramme à un cercle restreint de connaissances[pourquoi ?]. Avec comme exemple La Boétie qui, dès le XVIe siècle, a démontré l'efficacité du procédé avec le Discours de la servitude volontaire[1]. « De nos jours, dit-il à Anna Akhmatova, les poèmes doivent être civiques[A 1]. » Sa femme, Nadejda Iakovlevna Mandelstam, s'inquiète pour Ossip Mandelstam[réf. nécessaire] : « Comme s’il avait su que lui-même n’aurait ni tombe ni requiem, qu’on l’enterrerait quelque part, dans l’anonymat d’une fosse commune en Extrême-Orient, près de Vladivostok[B 1]. » En 1934, le poète confie à sa femme : « Je suis prêt à mourir. » Il tenait sa condamnation à mort. Pour Serge Venturini, « il apparaît comme le poète politique du XXe siècle, même sans credo politique. Les vers de son épigramme de 1934 contre Staline […] manifestent un courage inouï dans une époque de Terreur massive où les vagues brisaient l’échine des autres vagues, selon Ossia lui-même »[D 1].

Préparatifs d’une mise à mort

Ce poème ne fut écrit que devant le juge d’instruction de la Loubianka où « le poète coucha ces seize lignes sur une feuille à carreaux arrachée d’un cahier d’écolier[A 2]. » Il a défendu « sa dignité d’homme, d’artiste et de contemporain, jusqu'au bout[B 2]. » À la question de la femme de Victor Chklovski, Vassilissa : « Que faites-vous ? Pourquoi ? Vous serrez vous-même la corde autour de votre cou. » il répond qu'il ne peut pas faire autrement. Un jour, il croise Boris Pasternak et lui récite son poème. Effrayé, Pasternak répond : « Je n’ai rien entendu et vous n’avez rien récité. Vous savez, il se passe en ce moment des choses étranges, terribles, les gens disparaissent ; je crains que les murs aient des oreilles, il se pourrait que les pavés aussi puissent entendre et parler. Restons-en là : je n’ai rien entendu[B 3]. » Quand Pasternak l’interrogea sur ce qui l’avait poussé à écrire ce poème, Mandelstam répondit qu’il ne détestait rien autant que le fascisme, sous toutes ses formes[2]. C’est à la même époque qu’il gifle l’écrivain soviétique officiel Alexis Nikolaïevitch Tolstoï, en raison d’un différend, dans les locaux de la Maison d’édition des écrivains : « J’ai puni l’homme qui avait donné l’ordre de battre ma femme[C 1]. »

Perquisition et arrestation

Gueorgui Tchoulkov, Maria Petrovikh, Anna Akhmatova et Ossip Mandelstam, dans les années 1930.

Mandelstam reçoit la visite de trois agents de la Guépéou dans la nuit du 16 au 17 mai 1934, au no 5 ruelle Nachtchokine, appartement 26. Ils l'arrêtent et perquisitionnent le domicile grâce à un mandat d’arrêt signé de Guenrikh Iagoda. Son épouse racontera cette nuit dans ses Souvenirs[3]. Dans un poème de ces années-là – L’appartement, silence de papier –, il écrit : « Si minces, les maudites parois, / Plus d’issue nulle part »[B 4]. Akhmatova est présente. Elle pourra ainsi témoigner de cette nuit des spectres. Mandelstam quitte sa femme et ses amis à 7 heures du matin pour la Loubianka[B 5]. Tous les manuscrits sont confisqués, lettres, répertoire de téléphone et d’adresses, ainsi que des feuilles manuscrites, quarante-huit au total[A 3].

Cette épigramme sera plus tard cataloguée comme « document contre-révolutionnaire sans exemple » par le quartier général de la police secrète[réf. nécessaire]. Pour Vitali Chentalinski, c’était « plus qu’un poème : un acte désespéré d’audace et de courage civil dont on n’a pas d’analogie dans l’histoire de la littérature. En réalité, en refusant de renier son œuvre, le poète signait ainsi sa condamnation à mort. Était-ce le désespoir seul qui faisait bouger sa main ? Ou l’incapacité de feindre, de mentir[A 2] ? » Cependant, Staline n'a pas eu connaissance de ce « poème terroriste »[4].

« Isoler, mais préserver »

Nikolaï Goumilev et Anna Akhmatova, en 1916, avec leur fils, Lev Goumilev.

Ni l’intervention d’Akhmatova auprès des soviétiques autorités littéraires et d'Avel Enoukidzé, ni celle de Nadejda auprès de Boukharine, ni la réponse de Pasternak à Staline, ne peuvent changer l’ordre implacable des choses contre celui qui parlait du guide suprême comme d'un « corrupteur des âmes », du chef héroïque comme d’un « équarrisseur des paysans ». Le , le verdict tombe : trois ans de relégation à Tcherdyne, dans la région de Perm (Oural). Un miraculeux sursis. « Isoler, mais préserver. » Le poète aurait pu être fusillé sur le champ, comme Nikolaï Goumilev en 1921. Son épouse est convoquée à la Loubianka le 27 mai[B 6]. Elle est autorisée à accompagner son mari en relégation. Après trois jours d'interrogatoire, suite à une tentative ratée de suicide en raison d’une psychose traumatique aiguë[A 4] dans la nuit du 3 au 4 juin 1934, la révision de la sentence est confirmée. Le poète de quarante-quatre ans pourra choisir lui-même son lieu de relégation, sauf douze des principales villes de l’URSS. Il s’attend à une exécution imminente, sa santé défaille et il a des « hallucinations acoustiques[C 1] ».

Les Cahiers de Voronej

Vue d'ensemble de la ville de Voronej aujourd'hui.

Pour gravir la cime de son œuvre poétique, il choisit la ville de Voronej, « dans la région des Terres noires, en Russie centrale, à six cents kilomètres au sud de Moscou[B 7] ».

Vers le 25 juin de la même année, le couple Mandelstam arrive dans les plaines de Voronej. Un poème nommé par le couple La mendiante témoigne de cette époque où ils errent en quête de pitance et d'un foyer[5]. Il note à ses amis Akhmatova et Pasternak : « Je suppose que je ne devrais pas me plaindre. J'ai la chance de vivre dans un pays où la poésie compte. On tue des gens parce qu'ils en lisent, parce qu'ils en écrivent[6]. »

Comme l'écrivait sa compagne-mendiante Nadejda, née Hazim, – sa Nadinka, femme prodigieuse, mémoire de tous ses poèmes appris par cœur, il refusa à la catastrophe imminente de jeter une ombre sur la beauté de l'instant présent. Pourtant, que d'ombres dans la vie errante des Mandelstam. Jusqu'à l'ombre portée, l'ombre abstraite, projetée dans les mots, brûlant au cœur des mots, – les ombres des mots[7].

Entre les collines de Voronej, avant son ultime voyage pour la Sibérie et le camp de transit 3/10 de « Vtoraïa Retchka » près de Vladivostok, Mandelstam écrit les Cahiers de Voronej, « des poèmes d’une beauté et d’une forces indicibles » selon Anna Akhmatova (Feuillet du Journal, 1957)[B 8].

Il y meurt à quarante-sept ans – « Ma santé est très mauvaise. Je suis maigre et complètement épuisé, presque méconnaissable, je ne sais si cela vaut la peine d’envoyer des vêtements et de l’argent[C 2]. » – le , lors d’une séance de traitement de poux par grand froid, chez les zeks du baraquement no 11. Une épidémie de typhoïde sévit à ce moment dans le camp de transit[réf. nécessaire]. Balancé « dans un chariot avec d’autres cadavres, on l’emmena hors du camp pour le jeter dans une fosse commune[A 5]. »

Le contenu de l'épigramme en langue russe

Fichier:Mandelstam Stalin Epigram-c.jpg
Manuscrit de l'Épigramme contre Staline, rédigé par Mandelstam lors de son interrogatoire en prison.

« Мы живем, под собою не чуя страны,
Наши речи за десять шагов не слышны,
А где хватит на полразговорца, —
Там припомнят кремлёвского горца.
 
Его толстые пальцы, как черви, жирны,
А слова, как пудовые гири, верны,
Тараканьи смеются усища,
И сияют его голенища.
 
А вокруг него сброд тонкошеих вождей,
Он играет услугами полулюдей.
Кто свистит, кто мяучит, кто хнычет,
Он один лишь бабачит и тычет.
 
Как подковы, кует за указом указ —
Кому в пах, кому в лоб, кому в бровь, кому в глаз.
Что ни казнь у него – то малина
И широкая грудь осетина. »

Le contenu de l’épigramme en langue française

« Nous vivons sans sentir sous nos pieds le pays,
Nos paroles à dix pas ne sont même plus ouïes,
Et là où s’engage un début d’entretien, —
Là on se rappelle le montagnard du Kremlin.

Ses gros doigts sont gras comme des vers,
Ses mots comme des quintaux lourds sont précis.
Ses moustaches narguent comme des cafards,
Et tout le haut de ses bottes luit.

Une bande de chefs au cou grêle tourne autour de lui,
Et des services de ces ombres d’humains, il se réjouit.
L’un siffle, l’autre miaule, un autre gémit,
Il n’y a que lui qui désigne et punit.

Or, de décret en décret, comme des fers, il forge —
À qui au ventre, au front, à qui à l’œil, au sourcil.
Pour lui, ce qui n’est pas une exécution, est une fête[8].
Ainsi comme elle est large la poitrine de l’Ossète[9]. »

— Traduction d'Élisabeth Mouradian et Serge Venturini[D 1]

Postérité

Dans ces huit distiques, Mandelstam confère en acméiste une valeur inactuelle[Laquelle ?] en insérant cette réalité spécifique dans un cadre qui le dépasse[C 3]. Selon Akhmatova, témoin de cette affaire, « les temps étaient apocalyptiques. Le malheur nous suivait à la trace. Les Mandelstam étaient sans argent. Ils n’avaient nulle part où habiter. Ossip respirait difficilement, happait l’air de ses lèvres. C’était comme dans un cauchemar. Quelqu’un, arrivé après moi, dit que le père d’Ossip Émiliévitch n’avait plus aucun vêtement chaud. Ossip enleva le chandail qu’il portait sous son veston et le donna pour qu’on le remette à son père. Mon fils m’a dit qu’au moment de l’instruction de son affaire, on lui avait lu la déposition d’Ossip Émiliévitch et qu’elle était irréprochable ? Combien de nos contemporains pourraient en dire autant d’eux-mêmes[C 4] ? »

L’affaire Mandelstam s’achève au tournant du siècle. Jusqu’en 1987, sous la perestroïka, Mandelstam était encore considéré comme un criminel[A 6]. Il faut attendre la chute de l’URSS pour sortir la poésie de Mandelstam du samizdat, soit près de soixante-dix ans après l’écriture de l’épigramme. Pour Michel Aucouturier, préfacier du livre de souvenirs de Nadejda : Contre tout espoir, il s'agit d'« un crime que l'on veut faire oublier[10]. » « Il est vrai, nous ne pouvons lire ce poème aujourd'hui sans penser qu’il a coûté la vie à Mandelstam. Ce seul fait confère une valeur exceptionnelle à ces seize vers porteurs de mort[C 3]. »

Notes et références

Principales sources utilisées
  1. p. 257
  2. a et b p. 263
  3. p. 255
  4. p. 264
  5. p. 290
  6. p. 287
  1. p. 406
  2. p. 409
  3. p. 407
  4. p.398
  5. p. 413
  6. p. 418
  7. p. 425
  8. p. 576
  1. a et b Chronologie, p. 273
  2. p. 277
  3. a et b p. 74
  4. p. 276
  1. a et b p. 103-104
Autres sources et notes
  1. « Soyez donc résolus à ne plus servir et vous serez libres. »
  2. Selon les souvenirs d’Olga Ivinskaïa, dernière compagne de Pasternak.
  3. Traduits en français par Contre tout espoir, cf. les chapitres « Une nuit de mai » et « Saisie ».
  4. https://www.lexpress.fr/culture/livre/mandelstam-mon-temps-mon-fauve-une-biographie_1103507.html
  5. Cf. la lecture de ce poème par Gilles-Claude Thériault sur youtube: [1] Consulté le 2 juin 2013.
  6. D'après Babelio : [2] Consulté le 22 juin 2013.
  7. Serge Venturini, Éclats d'une poétique de l'inaccompli, éd. L'Harmattan, (ISBN 9782296556287), p. 66.
  8. C'est la « framboise », malina en langue russe, dans le jargon des bandits russes. Un vrai régal, une fête, donc. D'après le dictionnaire russe : [3] Сборник электронных толковых словарей - СЛОВОРУС : « 3) перен. разг. Что-л. приятное, доставляющее удовольствие. 2. ж. разг.-сниж. 1) Банда, шайка преступных элементов. 2) Место, где собираются члены такой банды, шайки; воровской притон. » Cf. la page du dictionnaire : [4] Quand Staline, avec son légendaire gros doigt, ne désignait pas quelqu'un, un jour sans aucune exécution, c'était « framboise », une fête, et aussi un témoignage de sa bonté, de sa générosité et même de sa bonne humeur. Mandelstam semble ici s'amuser avec l'ambiguïté du « Pour lui ». En effet, est-ce le « régal » de l'accusé ou bien de l'accusateur ? Pour les deux, c'est « la cerise sur le gâteau ».
  9. On pourrait aussi traduire par : « Ainsi comme il est large le poitrail de l'Ossète. Robert Service précise que : Le dernier vers se faisait l'écho d'une rumeur - non vérifiée - selon laquelle Staline était d'origine ossète. « Staline », 2004, p. 33. »
  10. Contre tout espoir de Nadejda Mandelstam, préface, éd. Gallimard, coll. Témoins, Tome I, p. XIV, 1972.

Bibliographie en français

Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

  • L'épigramme, traduite par Mouradian & Venturini, et lue par Gilles-Claude Thériault sur youtube.com : [5] Consulté le 11 mai 2013.